Après 2 ans de pause, le blog Ortho-n-co, maintes fois cité sur le notre, a repris son activité depuis janvier 2020. Et Lydie Batilly, orthophoniste et webmaster a publié début février un article choc intitulé : "Non, les polices « dys » n’aident pas les dyslexiques !"
Nous partageons certains de ses points de vue, mais souhaitons sur ce thème vous partager les notres nuancés sur certains points, non pas basés sur une étude scientifique (encore que nous allons en citer une, peu connue) mais sur sur nos observations cliniques et le bon sens.
Pour une bonne compréhension de nos propos, nous vous invitons si le thème vous intéresse, à prendre connaissance de cet article (consultable iCi), mais également des témoignages apportés en rubrique commentaires.
Après un début d'argumentation, il est écrit : "Du coup on fait quoi ? On arrête de convertir systématiquement tous les documents en OpenDyslexic : cela n’aide pas, et en plus les élèves n’ont aucune préférence pour cette police." (mais lire la suite concernant le choix de la police Arial avec adaptations typographiques).
Notre avis :
Soyons pragmatiques : Chez un pré-ado ou adolescent dys ayant acquis la lecture mais avec difficultés (déchiffrage et compréhension du texte), le simple fait de convertir un texte standard en police "dys" (ex : Open Dyslexic) ne suffit pas à améliorer nous en sommes bien d'accord ses capacités de lecture.
Pourtant, et bémol important, cette police (d'autres également) intègre deux caractéristiques suceptibles d'améliorer le confort de lecture :
- un tracé plus contrasté
- un espacement intégré entre lettres et mots.
Il est probable que chez certains lecteurs, l'apport de ces adaptations typographiques (espacements entre caractères, mots et interlignes) au sein d'une police épurée comme Arial, suffise et apporterait le même résultat (à condition d'en personnaliser les paramètres).
A côté de quoi est passé notre élève ?
La forme spécifique des lettres : pour la simple raison que celle ci ne lui a pas été enseignée.
L'auteure cite à ce sujet deux polices, Dyslexie et Open Dyslexic.
Historiquement, la police Dyslexie créée par Christian Boer a précédé la police Open Dyslexic qu'elle a accusé de plagia. Cette police a fait l'objet d'une thèse à l'Université de Twente (Pays Bas), basée sur une hypothèse formulée par son auteur, lui même dyslexique, qui a dessiné une police qui selon lui l'aurait aidé dans ses apprentissages : caractéristiques graphiques apportées à chaque lettre afin d’éviter les erreurs liées aux retournements, inversions, effet de miroir...
! Ajout de dernière minute : voir notre post scriptum en fin d'article :
Une étude française oubliée ou mal connue : "Une police de caractères adaptée permet-elle une amélioration de la lecture chez les enfants dyslexiques ?" (en bas d'article).
Si l'hypothèse tient la route, elle n'a de sens que si la forme si particulière des lettres est enseignée à l'enfant dès le primaire lors de l'apprentissage de la lecture :
Exemple : si l'enfant confond le «p» et le «b», il pourrait confondre en lecture « boulet » et « poulet ». Dès lors, facile d'attirer l'attention de l'élève sur la confusion entre le «p» ([pe]) et le «b» ([be]), en lui faisant remarquer les différences de graphisme entre les lettres qui lui ont été enseignées.
Excepté que ...
- cet enseignement vaut pour la reconnaissance des graphèmes au sein d'un texte numérique ou livre adapté. (pas pour l'écriture manuscrite ou écrite au tableau).
- peu d'enseignants ou orthophonistes sont sensibilisés à un usage précoce de ces outils.
- pour donner un sens à cette méthodologie, il conviendrait de l'enseigner précocement, au primaire, or à cet âge, la dyslexie ou les troubles des apprentissages sont rarement déjà diagnostiqués.
L'auteure de l'article le mentionne d'ailleurs dans un commentaire : "je n’ai encore jamais rencontré d’étude portant sur l’utilisation de ces polices dès le début de l’apprentissage, ni en français, ni dans une autre langue".
Considérons donc ces polices comme des outils qui enrichissent notre panel car comme le dit fort judicieusement un lecteur en rubrique commentaire "chaque dys a ses particularités et ses aisances de lecture".
Et des polices qui conviennent au confort de lecture, il en existe beaucoup d'autres (objet d'une très prochaine fiche technique APF Lab Le Hub).
Tout à fait d'accord avec l'auteure quand elle écrit " je trouve dommage que des enseignants prennent de leur précieux temps pour convertir tous leurs documents dans ces polices en pensant bien faire." Et pour cause : la police Dyslexie, payante, n'est quasiment plus utilisée depuis la disparition de son représentant en France, (société Auxilidys), alors que la police Open Dyslexic est gratuitement téléchargeable.
Alors c'est tentant, puisque estampillé "pour Dys".
Avant de faire aveuglément confiance à cette police en particulier, nous vous invitons, et c'est là notre rôle, à en découvrir d'autres comme certaines polices françaises écrites pour ces besoins et testées avec des utilisateurs français :
Ex :
- Police Accessible DFa (Groupe Orange) : cf notre fiche technique
- Police Luciole (Centre Technique Régional pour la Déficience Visuelle en Rhône Alpes) présentée sur notre blog iCi.
Beaucoup d'autres seront référencées dans notre prochain article: "Polices de caractères et confort de lecture".
Dès à présent extraits de la conclusion de notre article à paraître :
Qui doit choisir la police ?
Généralement, les adultes sauront apprécier la police la plus confortable à leurs besoins.
Chez l’enfant dyslexique ou mal voyant scolarisé, l’avis de l’ergothérapeute, de l’orthophoniste et dans le meilleurs des cas de l’orthoptiste sera déterminant.
Eléments à mentionner dans nos bilans :
Le choix des outils et leur paramétrage a toute sa place dans les bilans écrits afin d’assurer la transmission des informations en cas de changement de thérapeute ou d’établissement, en tenant compte que de plus en plus l’enfant est aujourd’hui amené à travailler sur plusieurs machines (ordi personnel, ordi familial, ordi chez l’ergo ou l’ortho, ordi en classe pupitre…).
Une cohérence s’impose, afin que l’élève retrouve partout les réglages qui lui conviennent.
Eléments à mentionner dans les bilans : nom, prénom, classe, date, traitement de texte utilisé, police, taille, espacement entre les mots, espacement entre les lettres, interlignage, éventuellement colorisation du texte, des lignes etc.
Une préconisation revue dans la durée
Ces éléments chiffrés seront à revoir périodiquement en fonction des apprentissages et de la progression de la lecture, qui à moyen ou long terme doit conduire si possible vers la lecture de textes non adaptés (magazines, journaux, romans…)
Une cohérence dans toutes applications :
Si l’élève utilise un logiciel de prédiction de mots, il conviendra d’opter pour la même police dans la fenêtre d’affichage des suggestions et le traitement de texte.
L’utilisation d’une police confortable sera utile pour la lecture et l’écriture au sein de logiciels de traitement de texte, et le sera tout autant pour la lecture de documents PDF après reconnaissance optique de caractères, dont le résultat sera exporté vers Word ou Libre Office pour être ensuite modifié, mais également sur pages web grâce à de nouvelles extension pour nos navigateurs, permettant une adaptation personnalisée des textes. (Ex : Orange Confort +).
PS : "Une police de caractères adaptée permet-elle une amélioration de la lecture chez les enfants dyslexiques ?" (ANAE 20016) :
Une étude parue dans ANAE 144-5 vol 28, 2016 : "Une police de caractères adaptée permet-elle une amélioration de la lecture chez les enfants dyslexiques ?" (auteurs : SPARROW Laurent, DEI CAS Paula, KHELIFI Rachid), menée au sein du laboratoire de sciences cognitives et affectives (SCALab - Université de Lille) en collaboration avec l'Institut d'Orthophonie de Lille a utilisé l'oculométrie (indices oculomoteurs permettant d’étudier les stratégies de lecture en analysant les durées moyennes de fixation), pour mesurer la vitesse de lecture et la compréhension de texte (comparaison entre une police standard (Arial) et la police Dyslexie.
Extrait de la conclusion : "Au final, on constate qu’en lecture orale, le taux d’erreurs baisse de 40% avec la police D (Dyslexie). Parallèlement, les indicateurs oculomoteurs montrent que la lecture est plus fluide (durées de fixations plus courtes, saccades plus amples) et que l’accès lexical est réalisé plus efficacement (effet de fréquence observé avec la police D). Ces améliorations permettent une meilleure compréhension du texte (le pourcentage de bonne réponse aux questionnaires augmente de 20% avec la police D)".
Article publié dans ce nouveau post : http://rnt.eklablog.com/les-polices-dys-n-aident-pas-les-dyslexiques-affirmation-ou-interrogat-a182944600